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A MON COMPATRIOTE RICHARD BONA : « IL Y AVAIT QUOI AVANT » ?

En me dissociant de l’esprit du Ministre de l’Habitat et du Développement Urbain, votre réplique à la question, « il y avait quoi avant ? » est bouleversante et me permet de revisiter brièvement, l’historicité de la politique camerounaise. Ce regard furtif dans le rétroviseur, m’amènera à dire qu’il n’y avait rien avant, sinon le vent et nous avons aujourd’hui la tempête. Deux périodes historiques ont marqué durablement le Cameroun : l’esclavage et la colonisation qui ont laissé des reliques, dont le poids pèse encore sur les fragiles épaules de notre pays. En m’attardant sur la période coloniale et spécifiquement sur le colonisateur français, une période des plus effervescentes au Cameroun, est celle des luttes nationalistes écrasées dans sang par la France. Très peu de camerounais se préoccupent de rechercher les raisons de ce massacre des camerounais par les camerounais, sous la direction de la France pays colonisateur. Les nationalistes camerounais étaient porteurs d’un ensemble d’idées révolutionnaires, dont l’indépendance du Cameroun, la réunification et la mise en place d’un système sociopolitique devant améliorer dans le sens du bien-être, les conditions de vie de tous les camerounais sans exception. Dans ce projet politique fort ambitieux, on n’y trouvait pas de place pour le colonisateur. Cet oubli, avait scellé de façon décisive le sort du Cameroun et celui des nationalistes porteurs dudit projet. Pour les nationalistes, ayant attiré par leur zèle le courroux du colonisateur, l’ordre était donné de leur éviction de la mémoire collective. Cela passera par la mort d’une part et d’autre part, l’oblitération de leur mémoire. Je t’invite mon cher Richard Bona, à faire une petite enquête, sur la volonté politique d’aujourd’hui et d’alors, à raviver la mémoire de ceux que nous considérons unanimement aujourd’hui, comme des héros de notre histoire politique. Je voudrais te rassurer que, cette volonté politique est difficile à saisir, comme l’est une aiguille dans une botte de foins. Pour le Cameroun, cet oubli a été sanctionné sévèrement, par la neutralisation du pouvoir politique, aux seuls intérêts du colonisateur et par le silence de la communauté internationale, sur l’offensive coloniale en terre camerounaise. Les interventions de Ruben Um Nyobè aux Nations Unies, n’auront de résultats, que l’hypocrisie des puissances occidentales.  Ahmadou Ahidjo, président de la république dans ce contexte, n’était qu’une personnalité comparse dans le jeu politique camerounais. Il est plus qu’étonnant que, la réalité économique du temps d’Ahmadou Ahidjo jugée prospère, bénéficie encore aujourd’hui, d’un fort soutien de la part des camerounais, en comparaison de celui que l’on a aujourd’hui sous le régime Biya. Mon chère Richard Bona, voyons ensemble comment nous nous sommes trompé durablement, et cela avec l’aide du colonisateur et d’Ahmadou Ahidjo lui-même. Il n’y avait rien avant sinon le vent et aujourd’hui nous avons la tempête. Toute l’économie du Cameroun était aux mains et sans doute aussi, aux intérêts du colonisateur. Les sociétés SOFIBEL (Société Forestière et Industrielle de Belabo), SOTUC (Société de Transport Urbain Camerounais) etc… que tu cites fort opportunément  dans ta récente  sortie musicale : « Il y avait quoi avant », étaient contrôlées à l’époque du président Ahmadou Ahidjo par l’Etat camerounais fragile, et par les entités étrangères à parts disproportionnées. La preuve, la SOTUC avait pour actionnaire principal Renault. Quant à la SOFIBEL, créée en 1975, avait un capital de 1200 millions de FCFA. La SNI (société nationale d’investissement) y représentait l’Etat du Cameroun avec 40℅ des actions, BECOROY une entreprise française, possédait au même titre que le Cameroun,  40℅ des actions. SOFIDA (Société Financière Internationale pour l’Investissement et le Développement en Afrique) y avait 10℅ tout comme Chase International Investment Corporation. En faisant le calcul, tu comprends mon très cher Richard Bona que, le Cameroun n’avait rien dans SOFIBEL. Par ailleurs, SOFIBEL encadrait dans ce contexte, cinq exploitants forestiers. Je te pose la question, qui penses-tu étaient ces exploitants forestiers ? SOFIBEL se voulait être un opérateur pilote dans le secteur forestier national. Elle entendait assurer la pérennité de la forêt de Deng-Deng en reboisant des espaces où les arbres étaient détruits. Sur les 130.000m3 de grumes que la société retirait chaque année de notre forêt, 40.000m3 étaient exportés à l’état brut, 37000m3 étaient utilisés par la scierie dont était dotée la société et 50.000m3 étaient déployés dans l’usine de fabrication des contre-plaqués. SOFIBEL employait plus de 600 personnes et je comprends bien ton désarroi mon très cher Richard Bona. Sauf que cet avantage pour le Cameroun me semble essentiellement cosmétique. Mon très cher Richard Bona, je vais te prendre un dernier exemple, cette fois ci, pour te montrer la faiblesse et le manque de maturité de l’Etat du Cameroun sous le président Ahmadou Ahidjo. Bien entendu, l’exemple de la SOFIBEL ayant démontré à suffisance, la place de l’Etat du Cameroun dans les entreprises qu’il créait à la pelle. Ces entreprises pour la plupart sont nées presque la même année en 1975. Le deuxième exemple est celui de la CAMSUCO. Société sucrière créée en 1975 pour la production du sucre. La CAMSUCO arrive alors qu’il existe déjà la SOSUCAM et l’on s’interroge sur la nécessité de ce doublon. Mon cher Richard Bona, voici l’objectif inavoué : l’opportunisme naïf des dirigeants du Cameroun de cette époque. CAMSUCO voulait pallier deux problèmes, l’échec de la politique sucrière au Congo voisin, dont la production était tombée à 25.000 tonnes par an, après la nationalisation de la Société Industrielle Agricole en abrégée SIA, puis, l’absence de production du sucre au nord du Nigeria par des complexes agro-industriels de sucres. Nos dirigeants d’alors avaient été incapables de penser que, cette situation pouvait être de courte durée. Les partenaires du Cameroun étaient restés méfiants. Habitués à prendre des grosses parts d’actions, ceux-ci s’étaient contentés de 3,75℅ pour SOMDIAA (Société Multinationale de Développement pour les Industries Alimentaires et Agricoles) et COGEFAR (Compagnie Générale de Participation Financière) de 8,75℅, contre 62,125℅ pour la SNI et 25℅ pour la CNPS. Ces entreprises créées à la pelle manquaient de fondements solides. Leur chute n’était qu’une question de temps. Si  la chute de ces sociétés  est le fait de leur faible structuration et du retrait de leurs principaux actionnaires étrangers, elle est aussi le fait d’un certain nombre de chocs économiques, ayant nécessité un redéploiement de la communauté internationale, vers d’autres systèmes économiques correspondants à l’évolution du temps. Le premier choc économique intervenu en 1973 avec la surproduction du pétrole, a un impact négligeable sur l’économie du Cameroun, mais marque les esprits. Le deuxième choc économique dans les années 1980 avec la révolution iranienne sera cette fois ci sans pitié pour le Cameroun. La plupart des sociétés d’Etat vont être rationnalisées voir fermées. Cette situation va choquer les camerounais et le malaise ressenti à cette époque perdure jusqu’aujourd’hui. Beaucoup de camerounais vont d’ailleurs lever un doigt accusateur contre le seul régime Biya, comme c’est le cas avec ta nouvelle sortie « Il y avait quoi avant ». Mais on oublie que, le tissu économique camerounais sous le régime Ahidjo était voué à l’échec compte tenu de son caractère extroverti, de sa faible structuration et de son emprise sous l’autorité de l’Etat. La crise économique mondiale des années 1980 provoquée par la révolution iranienne, avait frappé de plein fouet les économies des pays développés et avait induit la mise en place des formes nouvelles d’économies ouvertes au libéralisme. Les Etats devaient se désengager de leur rôle économique pour maintenir les équilibres de développement. Dans le cadre de cette modernité économique, les entreprises camerounaises dans leurs caractéristiques n’épousaient plus les nouvelles réalités. Ahmadou Ahidjo qui avait compris et vu les choses venir, quitta très rapidement le pouvoir qui allait sans coup férir se retourner contre lui. En effet, le faux semblant de prospérité économique qu’avait apporté le régime Ahidjo était une justification du massacre des nationalistes. Par ce leurre d’une économie prospère, les camerounais comme à leur habitude, avaient très vite oublié les nuits de longs couteaux. Le président Ahmadou Ahidjo pouvait alors se frapper la poitrine et dire qu’il laisse un Cameroun prospère. Le jeune Biya venait alors au pouvoir pour porter le chapeau. Cette manœuvre politique a bien réussi mon très cher Richard Bona, puisque les camerounais reconnaissent au régime Ahidjo, les mérites d’une époque politique favorable à l’épanouissement socioculturel, comme tu sembles le faire. Il n’y avait rien avant, sinon le vent et on a aujourd’hui la tempête.

Tobie Atangana.

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Written by tobie atangana

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